La loi immigration adoptée le 20 décembre dernier a été abusivement durcie, notamment le droit d’asile, le regroupement familial, le droit aux aides sociales, le titre de séjour et la régularisation des cas des travailleurs sans papiers. Faudrait-il s’attendre au pire avec la montée vertigineuse de l’extrême droite ? Témoignages.
Tornade sur le Vieux continent. Les résultats des élections pour le renouvellement du Parlement européen qui se sont déroulées dimanche dernier ont consacré une nette percée de l’extrême droite, au grand dam des partis au pouvoir et autres formations politiques. Le coup d’éclat a été si fulgurant qu’on parle déjà d’une imminente mutation géopolitique radicale dans plusieurs pays européens, au moment où le président français Emmanuel Macron a aussitôt annoncé, dans la soirée, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation, le 30 courant, de nouvelles élections législatives. Dans l’Hexagone où l’on compte le plus grand nombre de travailleurs tunisiens à l’étranger, l’extrême droite, conduite par le Rassemblement national, Marine Le Pen et son poulain Jordan Bardella, a presque fait cavalier seul, en l’emportant largement avec 31,37 des voix, soit un score deux fois supérieur de la liste qui se place tout juste après. Avec 31 sièges, le RN pourrait, selon des observateurs, constituer le plus important groupe au Parlement européen. De surcroît, Bardella est donné favori pour accéder à Matignon et devenir ainsi Premier ministre à l’âge de 28 ans. Mais, ce n’est pas fini, puisque l’extrême droite a également réussi des victoires non moins retentissantes, notamment en Italie, en Belgique et en Autriche, alors qu’elle est créditée d’une belle montée au classement (2e place en Allemagne, en Suisse, en Suède, aux Pays-Bas et en Pologne, outre une inattendue troisième place en Espagne). Raz-de-marée, quoi !
Inquiétudes palpables
Évidemment, ce verdict qui a rebattu toutes les cartes n’a pas fait que des heureux, d’autant qu’il est vu d’un mauvais œil, aussi bien par les partis concurrents que par la main-d’œuvre étrangère et les migrants, notamment.
En effet, l’on sait que l’extrême droite a toujours été intransigeante sur ces deux dossiers, particulièrement celui de la migration. Au point qu’elle est accusée dans plusieurs pays du tiers-monde de « berceau du racisme et de la xénophobie ». Le durcissement de la loi immigration, c’est elle. Les appels incessants à la fermeture des frontières européennes maritimes et terrestres aux étrangers en situation irrégulière, c’est encore elle. Le refoulement aux ports des bateaux mobilisés par des ONG pour sauver des migrants en détresse au large, ainsi que le rapatriement systématique de milliers de sans-papiers sont autant d’actes imputables à l’extrême droite profondément nationaliste. « Après Marine Le Pen sous le joug de laquelle on avait longtemps souffert avant son éclipse, voilà que son fidèle lieutenant, Bardella s’amène en trombe pour accroître notre angoisse », s’inquiète notre compatriote Mehdi. S, 40 ans, résidant en France. « Déjà, gémit-il, la loi immigration adoptée le 20 décembre dernier a été abusivement durcie, notamment le droit d’asile, le regroupement familial, le droit aux aides sociales, le titre de séjour et la régularisation des cas des travailleurs sans papiers. Faudrait-il s’attendre au pire avec la montée vertigineuse de l’extrême droite ? »
Une inquiétude d’autant plus prévisible que la France compte près de 1,5 million de travailleurs tunisiens, sans oublier les SDF et des sans-papiers dont le nombre est estimé par des médias français à plus de 250 mille personnes.
Mettre fin à la migration clandestine derrière la radicalisation des pays européens
La sonnette d’alarme se fait aussi entendre auprès de la communauté tunisienne basée en Italie, en Belgique et en Allemagne. « Avec le parti au pouvoir, reconnaît Fayçal B., 51 ans, Tunisien vivant à Munich, on est bien. Cependant, avec la grande victoire, dimanche, du parti allemand d’extrême droite (AFD ndlr) qui a supplanté celui de Olaf Scholz, on devrait normalement avoir peur pour notre avenir, en tant que communauté tunisienne. J’espère que les événements ne me donneront pas raison ».
Tranchant avec ces témoignages pessimistes, Hassene C., 54 ans, ce Mahdois installé dans la région parisienne depuis plusieurs années, n’est pas inquiet outre mesure. « C’est vrai, dit-il, qu’on a le droit de s’interroger sur ce que sera notre futur et celui de nos enfants. Par contre, je pense humblement qu’on ne doit pas dramatiser. C’est que l’extrême droite n’a, pour moi qui connais la France, jamais été un foudre de guerre, ce n’est qu’un feu de paille. La preuve est que, sur l’échiquier politique français, elle n’a jamais atteint la majorité au parlement ».
Et Hassene de conclure sur ce conseil : « Ce qu’il faudra plutôt faire, c’est voir notre pays redoubler impérativement d’efforts pour mettre fin au phénomène de la migration clandestine qui a été derrière la radicalisation continue des mesures préventives prises à ce sujet par la France et l’Italie qui ont été imitées plus tard par Malte, la Grèce et l’Espagne ».
Tunisie, l’élève qui ne triche pas
Il faut dire que les propos de notre interlocuteur sont si vrais que prétendre que la Tunisie ne fait pas assez pour améliorer sa lutte contre la migration irrégulière serait trahir la vérité. Pour en avoir le cœur net, commençons par les chiffres. Ainsi, depuis début 2024 jusqu’au mois de mai, quelque 52.972 personnes, dont 98% de nationalités étrangères, qui ont tenté de franchir clandestinement nos frontières maritimes vers l’Europe ont été arrêtées. Pas moins de 595 passeurs neutralisés et 510 embarcations saisies. Une belle moisson, quand on sait que la Tunisie est incontestablement le pays le plus touché par ce phénomène qui a connu, selon le Centre africain des études stratégiques, une augmentation de 38% par rapport à 2010.
En 2023, plus de six mille tentatives de migration illégale ont été déjouées, ce qui a conduit à l’arrestation de 80 mille migrants, dont 92% de nationalités subsahariennes. Dans le même cadre, la Tunisie a opté pour la conclusion d’accords de coopération avec des pays africains en vue d’encourager le retour de migrants vers leurs pays d’origine. Ainsi, depuis octobre 2023 jusqu’au 26 mai dernier, près de 7.206 Subsahariens ont bénéficié de la procédure de rapatriement volontaire.
Dans le même contexte, le Chef de l’Etat a souligné, lors de son entretien le 17 avril dernier au palais de Carthage avec la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, «la position ferme et inébranlable de la Tunisie qui refuse d’être un pays d’accueil ou de transit pour les migrants irréguliers.»
Mme Meloni, aux commandes du parti de l’extrême droite Fratelli Italia, vainqueur des dernières élections européennes, a, ce jour-là, loué les efforts de la Tunisie, tout en appelant à la nécessité de fournir des efforts supplémentaires, particulièrement dans la lutte contre les passeurs et les organisations mafieuses. La même question a été au centre de l’appel téléphonique qu’a eu le Président Kaïs Saïed, le 26 avril dernier, avec son homologue français, Emanuel Macron, ainsi que lors des séances de travail avec le Chef du gouvernement, Ahmed Hachani, durant la visite qu’il a effectuée fin février en France.
Le 3 avril dernier, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, à son tour, lors d’une vidéoconférence avec les consuls généraux, consuls et chefs de bureaux consulaires, les a exhortés à mieux interagir avec la communauté tunisienne, à améliorer la qualité des services et à défendre ses intérêts. Par ailleurs, selon l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE), le nombre de centres sociaux et culturels ouverts aux travailleurs en Europe est passé récemment de 150 à 161.
Comme on peut le constater au final, l’Etat n’épargne aucun effort pour être à l’écoute des émigrés où qu’ils se trouvent dans le Vieux continent. De quoi leur procurer sécurisation et confiance à l’heure de l’invasion de l’extrême droite.